Préface au Carnet de vol d’un fantôme

Préface Nouvelle ( 1 )

Lecteur, je me dois de t’avertir. Ne cherche pas à remonter le fil de cette histoire. Ne retourne pas sur les traces de mon passé. Tu n’y trouverais que folie et tristesse de la solitude.

Non, je n’aurais jamais dû m’installer dans cette maison de campagne.

Elle est hanté qu’ils disaient. Moi, je n’y voyais que balivernes et surtout un moyen de me retirer enfin des diableries de la ville. 

Une vieille maison, ça vie, les nuits de tempêtes, les poutres grincent, les fenêtres claquent. Quoi de plus normal ?

Mais les chaudes nuits d’été, seules des souris ou des rats pourraient y trottiner ainsi dans le grenier au dessus de ma chambre.

Quelle idée d’acheter une maison aussi vaste ! Comme un gamin accrochée à ses contes d’enfance, je me lançais des après-midi entières dans les moindres recoins du jardin et des dépendances extérieures à la recherche de je ne sais quel trésor ou objets oubliés par toutes ces générations que cette vieille dame à accueillie en son sein.

Mais le soir venu, après la lecture dans la pénombre du vaste salon, je me doutais bien que je jouais à me faire peur, à mon âge on ne croit pas aux fantômes. Alors quoi, j’aurai rêvé ces bruits ?

Dès le lendemain matin, encore assommé d’avoir veillé à force de tendre l’oreille, je me jetais encore en pyjama dans le petit escalier menant au grenier. Je ne sais quelle colère m’envahie, je jetais les chaises et les vieux meubles délabrés dans tous les sens, quelque chose m’hypnotisait et cette chose se trouvait forcément derrière ce foutras de meubles. Une porte cachée, pas de poignée. Un simple coup d’épaule suffit à faire couiner cette porte en trompe l’œil. Là, au milieu d’une toute petite pièce vide et poussiéreuse, se trouvait une table, une chaise. Je m’avançais vers elle. En baissant mon, regard, je me rendis compte que je marchais sur les pas de quelqu’un d’autres. Quelqu’un d’autre qui avait la même taille de pieds que moi ! Sur cette table, un stylo plume et des vieux carnets en cuir aux pages jaunis. J’en ouvris un. Je pressentais que quelqu’un écrivait toutes les nuits sur ce dernier carnet. Mais qui ? 

 Quelle ne fut pas ma stupeur de découvrir le fil des dates de ce journal ! 

« Nuit du 05 août, encore une belle nuit pour s’envoler. »

Nous sommes le 06 août…

C’est décidé, je lèverai ce mystère avant la fin de la semaine. Direction le centre ville !

Je ne pris pas le temps de m’attarder sur les regards ahuris des clients de ce magasin d’informatique, c’est vrai que, les yeux creusés, la barbe des mauvais jours, à peine habillé, je faisais peur à voir.

  • « C’est le fameux type qui racheté la maison, oui, oui, cette maison, le pauvre… ».

A peine rentrée de la ville, j’installai les caméras de surveillance. Non sans appréhension, la nuit tomba. Je m’asseyais  dans mon lit, le pc sur mes genoux à scruter le retour des caméras installées dans les couloirs et le grenier.

02h00 Rien, 03h00 toujours rien. 04h00 Je m’endors jusqu’au petit matin.

Au réveil, je réalisais que je n’avais pas mangé et dormi depuis plusieurs jours. J’hésitais entre monter lire ce carnet ou visionner les enregistrements. Mais même sous la douceur des rayons du soleil de ce petit matin bercé de chants d’oiseaux, je compris que la peur me dominait. Ce fantôme avait pris le contrôle de mon système nerveux, plus rien n’existait. Je puais la nuit mais je ne me laisserais pas dominer de la sorte. Une douche quasi glacée suivie d’un copieux déjeuner dans le jardin me permis de me ressaisir quelque peu.

Allez, courage. J’ouvris le capot de mon pc portable et lança la lecture des enregistrements. Le choc ne fut trop brutal !

A 04h20 précisément, Je me vis marcher dans le couloir, m’asseoir à cette fameuse table et écrire ! Ce fantôme était donc moi. J’étais au moins rassuré sur un fait : les fantômes n’existent pas !

Somnambule, je suis somnambule ! Voilà ce que me confirma le Docteur qui me prescrit toutes sortes de médicaments en plus des séances d’hypnoses que je réservai.

Peu de temps après cette incroyable découverte qui se répéta au fil des nuits, je me rendis chez un psychanalyste, certifié hypnotiseur. Après lui avoir expliqué cette histoire rocambolesque, je m’assurais de son sérieux en exigeant qu’il filme les séances d’hypnose afin que je les visionne aussitôt finies.

Dès la première séance d’hypnose, chez ce curieux médecin psychanalyste, j’appris que je servais uniquement de rédacteur à un autre esprit qui prenait chaque nuit possession de mon corps. Le médecin tenta d’entrer en communication avec cet esprit. Ce dernier se présenta comme un ange qui serait soi-disant une statue le jour, se réveillant chaque nuit pour partir à la recherche d’une certaine femme aimée dans son passée. Et chaque battement d’ailes correspondrait à chacune de ses pensées !

Le psy me confirma : 

  • « Cet ange, c’est vous-même !  Votre double, votre inconscient si vous préférez. Tels sont vos sentiments obscurs et refoulés. »

J’abandonnai les séances. Les nuits s’enchainèrent, je remplissais ces carnets à la merci de ma schizophrénie. 

L’été s’acheva, les volets et mes valises fermées, je partis explorer le monde à la recherche de cette statue planquée quelque part dans un vaste parc ou jardin, et enfin de cette femme dont le visage m’apparu dans les plus profonds de mes sommeils à m’agiter pour l’atteindre en vain.

Je parcourais de long en large Central Park, le jardin du Luxembourg et tant d’autres lieux aussi mythiques et magnifiques les uns que les autres ; l’avion remplaçant les ailes de l’ange que je suis censé être. Je pris des centaines de photos de statues d’anges. Quasi-ruiné, épuisé, je rentrais dans ma demeure, aussi sombre que ces nouvelles nuits d’hiver.

Je revis mon psy.

  • « Cette femme, vous l’avez sûrement déjà vue mais vous ne vous en rappelez plus. Surement suite à un traumatisme, un choc psychologique. »
  • « Plutôt dans une autre vie oui ! »

Le lendemain matin qui suivi cet entretien, je visionnai l’enregistrement de la nuit passée.   

Nouveau choc. Serais-je devenu totalement fou ?

Alors que sous l’effet du somnambulisme, je me vois écrire, Je jurerai voir sur la vidéo un ange pénétrer mon corps ! Le pire étant que je ne me souviens de rien ! Je me suis réveillé attablée à cette table, seul au milieu de ce grenier, sans trop savoir vraiment qui j’étais. Je relus mes dernières lignes du carnet. Mes yeux s’écarquillèrent, cela était-il possible ? Durant cette dernière nuit, mes derniers écrits me révélèrent le grand secret : ma main avait inscrit l’endroit précis où ce trouvait cette fameuse statue ! Non, je ne vous le révèlerai pas ! Cela ne regarde que moi, et puis il n’y a guère de chance pour que vous croyais à cette histoire. 

Je m’y rendis aussitôt.

Face à elle, face à moi-même, ne sachant plus d’elle ou de moi,  qui versa une larme en premier. 

Plus jamais mon corps ne se leva dans la nuit pour se rendre dans ce grenier. Plus jamais je ne retrouverai cette femme qui hantait mes nuits à la recherche de notre passé. De ces nuits de folie, il ne me reste que ces carnets. 

Puis, afin de mettre un terme à cette étrange histoire, je suis retourné une nuit auprès de ma statue pour y enterrer ces carnets à ses pieds. En me relevant, j’aurai juré voir ses yeux s’illuminer. Mais là encore, il s’agissait surement d’un jet de lune…

© Charles Dunajewski. Avril 2016. 

( 1 ) Préface sous forme de Nouvelle. Ici préface du carnet de vol d’un fantôme de Charles Dunajewski.

Carnet d'un fantôme

Couverture du calepin bleu n°4


Avertissement
Cet exemplaire retrace les premiers battements d'ailes avant la chute, il est donc possible de le lire en regar- dant le ciel. À l'issue de cette lecture, il se peut que vous vous sentiez pousser des ailes. Il vous reviendra alors de poursuivre l'écriture de ce carnet et d’ainsi prendre votre propre envol.

Risques d'allergies
Peut contenir des traces de poésies, de pensées et d'humanité.
Copie épurée des carnets originaux et certifiée sans traces de sang, de sueur et de larmes.

Avertissement aux lecteurs
Nous, personnages de tous temps et tous genres, revendiquons notre statut de fantôme. Nous nous désolidarisons de nos auteurs qui nous créent à des fins de prétextes à leurs névroses. Nous revendiquons notre éternité et notre indépendance au-delà de toutes cri- tiques littéraires qui n'ont que faire de notre avis. Auteurs, ayez peur de vos propres fantômes car nous survivrons à tous vos secrets et mensonges, nous ne représentons que nous-mêmes dans le silence des bibliothèques et l'imaginaire de vos lecteurs que nous infiltrons au gré de leur lecture, unique passerelle entre vos âmes.

Face au miroir, je pensais me voir, je n'y voyais que le fantôme de mon personnage me souriant cyniquement.
Un personnage de f iction est comme un fantô- me qui s'adresse à l'auteur. Il est son miroir, un personnage n'est pas l'auteur, il n'en est pas moins un prétexte à ses névroses.
30/04/14

Mots de rien

Envie d'écrire et n'avoir rien à dire, voilà la souf- france de l'écrivain.
Je n'aime pas écrire. Cela revient à introduire une main dans le crâne, l'autre dans la poitrine. Malaxer le cerveau et le cœur, voilà bien la dou- leur. C'est être présent à une fête, et se contrain- dre à sourire. Ce degré de bonheur aboutit tou- jours à un degré de souffrance équidistant. Je fuis l'écriture comme la foule. J'ai une grande méf ian- ce des mots. Surtout ceux aussi inutiles et répéti- tifs que moi. Pouvoir terrible et intransigeant à l'écrit : l'esprit des Lois… Je ne suis pas de ce monde, ne parle pas le même langage. Je me suis trompé d'époque. À la poursuite de fantômes, ancêtres de mes souvenirs vivants qui me harcè- lent. Invisibles pour tous, depuis ma naissance je ne vois qu'eux. Ils m'ont pourtant appris l'inspira- tion, celle-là seule qui me console : mots de grâ- ces et de vertus. Enf in seul à ma table, rassuré par le grattement de la plume sur le papier, je me lais- se aller. Hypnotisé par le chant des mots et la nécessité d'écrire pour m'évader d'un quotidien incompris et si éloigné de mes souvenirs d'origi- ne. Mots de rien, mots de paix avec moi-même, toutes drogues étant inutiles. Je suis né bien trop tard, cette projection dans le futur ne m'a rien appris, sinon la consternation de la race cynique, la race humaine ! Me voilà bien inutile, il est temps pour moi de prendre congé. Mais pas avant d'avoir suff isamment emmerdé par ma seule pré- sence et mon inertie ce monde de rentabilité et de calcul. Pas avant d'avoir saisi le mode d'emploi pour être heureux et essayer de l'être avec mes proches. Alors enf in je partirai, dans le monde de


l'ombre d'où je viens et où je vais. Monde que je frôle chaque jour que le besoin d'écrire se fait res- sentir. Oui, le futur nous ment !
07/02/14

Les fantômes existent en tant que fantômes. Ce ne sont après tout que des hommes dénudés de leur enveloppe physique…
27/12/04

L'inspiration provient du sommeil. Le sommeil est la porte d'un monde parallèle. En ce monde, inutile d'avoir peur de son propre fantôme. Car celui-là même se gonfle de rêves et agite dès le lendemain la main nerveuse cherchant le réveil et la plume.
12/01/07

À force de claques reçues dans la vie profession- nelle, beaucoup ont appris à ruser, c'est-à-dire à penser la même chose mais en fermant leur gueu- le af in d'éviter ces éternels dialogues de sourds ne menant à rien sinon à des procès ou coups de poing imminents. Seul moyen de se faire appré- cier de ses collègues et supérieurs : ne plus s'éner- ver, bref, rester un fantôme…

Jouer aux échecs contre un ordinateur c'est jouer contre soi-même, c'est-à-dire contre son fantôme.
Septembre 2008

"Je suis transparent !" En voilà une jolie parole d'homme politique ! Si transparents qu'ils sont invisibles dans leurs actions. Oui, les hommes politiques aussi ont le pouvoir d'être des fantô- mes.
16 octobre 2008

Pourquoi j'écris ? Parce que c'est en moi, je porte ce gène ou ce virus en moi ; je vis avec comme d'autres vivent avec "un talent" ou un cancer. Parce qu'une petite voix m'y force, un double, mon fantôme qui apparaît dans le regard, la ges- tuelle de mon ombre, seule véritable trace de mon existence.
16 octobre 2008

Entre deux battements de cœur, je suis mort, je ressens la foi, la pureté, le plaisir d'être un fantô- me.
10/05/09

Septembre 2008

Plus de six cents nouveaux livres à chaque nou- velle rentrée littéraire, est-ce élargir le fossé entre l'élite et les délaissés de l'Éducation nationale ou est-ce la culture de masse qui étouffera d'off ice ce chiffre ?
Qui mène la danse dans notre société ? "Les bourrins" qui n'ont que faire de nos derniers intellectuels et de notre patrimoine culturel ou ces six cents auteurs sitôt invisibles dans nos mémoires ?
Dans quelle catégorie me situer : les 20 ou les 80%?
Septembre 2008

Le vrai secret pour devenir un fantôme est que je reste aussi indifférent à l'appât du gain qu'à mon invisibilité en ce monde. Partant du princi- pe que je peux crever aujourd'hui ou dans un an, quel intérêt à perdre tant d'énergie à se hisser vers un imaginaire carton-pâte ? J'ai dépassé la lutte des classes car devenir l'esclave du patronat est un truc qui m'indiffère superbement. Pourquoi ? Parce que je suis plus préoccupé par ce qu'il me reste à faire sur terre maintenant que je suis deve- nu ce "navire en flammes qui s'éloigne sous un ciel de mille feux".
Ma fonction poétique étant remplie, mon devoir envers la poésie étant accompli, que faire ? Supporter le reste du monde ?


(Ce n'est pas vantardise que d'écrire cela. Le badaud qui croirait cela, je l'invite à passer son chemin en retournant vers ses écrans de télévi- sion ou d'ordinateur car il s'agit là d'une conver- sation sérieuse entre fantômes, c'est-à-dire entre ex-adolescents ayant produit leur meilleur jus créatif.)
Que nous reste-t-il à faire, hormis errer parmi vous sans que vous sachiez tout l'honneur qu'il vous est donné de croiser des poètes, ces hommes et ces femmes sensibles à votre monde. Mais vous ne le savez pas car pour tous ceux qui n'ont pas encore franchi le pas du néant, il leur reste enco- re la délicatesse de supporter tout le poids de vos lieux communs.
22/08/09

J'ai fait le deuil de mes utopies. Rêver d'un monde meilleur, qui ne garderait que le meilleur de chaque parti politique, est une illusion de plus. Je ne suis une menace pour personne, je suis en paix avec moi-même. Et puisqu'il n'y a plus d'espoir, quel bonheur d'être un fantôme !
22/10/09

Nos amours perdus et jamais atteints sont d'atroces fantômes qui hantent nos nuits.
10/11/09

Dans le cimetière de mes souvenirs, existe un tombeau que j'affectionne particulièrement et j'aime à venir m'y asseoir pour méditer : ce tom- beau contient toutes mes pensées perdues à jamais. Et je connais la douleur d'être un fantôme assis sur le tombeau de ces phrases oubliées, sitôt mortes à la naissance, sitôt enterrées. Que de che- min parcouru pour parvenir ici ! Ces poèmes, ces idées, ces phrases, ces images uniques, magni- f iques sont autant de moment de pureté, de grâce qui eux seuls décident de venir à nous. Amertume de l'éphémère : les étoiles f ilantes traversent nos rêves qui s'évaporent dès que l'envie de les revi- vre nous traverse l'esprit. Trop libre et trop pur pour se salir à l'humanité, la fée de l'inspiration s'envole. Alors, tel Ulysse, parcourant ses rêves à la recherche de ses pensées, ce long voyage nous révèle combien une vie de sommeil sera toujours trop courte.
On se réveille, quelque chose a existé durant quelques secondes, autant dire des siècles. Il nous a été donné l'autorisation de le savoir, mais fait interdiction de repartir avec ces trésors de la pen- sée qui sont autant de fantômes conduisant à la jouissance spirituelle par l'accouplement du corps et de l'esprit.
La chimie des rêves est un mystère dont nos corps sont les tombeaux.


Une musique est aussi invisible qu'une odeur, elle se déplace, nous attire, elle est un fantôme jouant avec nos sens.
06/10/11

27/10/13

Mon ombre n'est-elle pas elle-même une cou- leur fantôme ?
07/03/15